Expériences

35 jours dans la jungle amazonienne

J’ai voulu me lancer un défi pour mes 30 ans en 2012. En tant que citadin ayant souvent entendu parler de la jungle tropicale, sans avoir vraiment jamais su ce que c’était, je me suis dit que c’était l’occasion de découvrir cette jungle de près, seul, et pour un mois.

J’ai suivi au préalable une courte formation au Panama. Ce fut déjà, en soi, une expérience formidable, et j’ai beaucoup appris auprès de Miguel, qui vit dans la jungle par passion. L’objectif de ce stage était de découvrir les mesures élémentaires de sécurité et de savoir me débrouiller en cas de perte d’une partie de mon matériel. J’ai par exemple dormi par terre deux nuits, pour apprendre à me débrouiller sans hamac. J’ai appris à faire des abris de fortune pour protéger un feu.

Arrivé à Manaus au Brésil, j’ai pris un bus pour une petite ville : Novo Airão, se situant « au bout du réseau routier ». Je me suis ensuite fait déposé par bateau à une quarantaine de kilomètres de là, sur les berges du Rio Negro, face à l’immensité de l’Amazonie. Mon équipement comprend : une trousse à pharmacie très complète, une trousse de secours (à porter sur moi quand je tourne autour du camp ou si j’abandonne mon sac principal suite à une urgence), deux GPS et deux boussoles, de quoi faire mon camp (hamac, bâche, seau à eau), des rations quotidiennes (surtout des féculents). Après une acclimatation de 9 jours, je marche 10 jours en ligne droite. Regarder en permanence la boussole est indispensable car sinon on dévie complètement en quelques minutes. Je fais alors 5 jours de pause avant de revenir au Rio Negro par un chemin différent (et plus marécageux). Je porte des chaussures très confortables et non putrescibles. Mes fidèles compagnons sont : ma machette dans la main droite, ma boussole dans la main gauche, et mon couteau à la hanche.

La jungle est un univers merveilleux, très différent des clichés que l’on peut en avoir. La température est stable et idéale, ni froide ni chaude (car on se trouve loin sous la canopée). On se baigne facilement et avec plaisir dans les nombreux petits ruisseaux qui la sillonnent. Les animaux y sont presque invisibles : le moindre déplacement provoque des mouvements de lianes, branches mortes et feuilles ; de quoi éloigner tout être un peu craintif. Au niveau du sol, il n’y a rien à cueillir : la végétation verte et les fruits se trouvent bien au-dessus des têtes. L’ambiance est très calme et paisible. Les chants des oiseaux bercent chaque moment. Il ne pleut pas souvent, mais chaque averse fait tomber des gouttes au sol pendant encore de longues heures après s’être arrêtée. L’animal roi est la fourmi : il y en a partout, tout le temps, sur chaque mètre carré, et de toutes les tailles !

Le Rio Negro, après la saison des pluies quand il est haut, entre très loin dans la jungle et forme de gigantesques marécages.

Je suis resté 35 jours et j’ai marché environ 80 kilomètres. La progression est rendue très difficile par la densité de la végétation : je parcourais environ 500 mètres par heure. La plupart du temps, on se trouve face à un mélange de troncs verticaux, de lianes et de bois mort, dont les réactions face à la machette sont imprévisibles : retours de machette dans le visage par élasticité, lourdes branches qui tombent sur la tête après avoir coupé les lianes auxquelles elles étaient suspendues, et parfois tout simplement une résistance nulle, ce qui conduit inexorablement la machette, lancée à pleine force, à s’arrêter in extremis près du genou. La progression est exténuante. Une fois, je suis resté bloqué une journée dans mon camp car la veille j’ai reçu un violent coup de branche morte dans l’œil, ce qui a provoqué un léger ulcère cornéen et m’empêchait de bien voir. Il faut aussi régulièrement passer par-dessus des effondrements d’arbres, avec les pieds qui s’enfoncent jusqu’aux genoux dans un enchevêtrement de végétation morte, sans doute remplie de serpents et d’araignées. Le manque de visibilité empêche d’optimiser les trajectoires et l’on progresse en ligne droite, à la boussole. Impossible aussi de s’éloigner du lourd sac, car il serait trop facile et dangereux de le perdre.

Le soir, une fois mon camp établi, je me repose et la vie est tranquille et agréable. Je rêvasse avec plaisir, pendant de longues heures. Il est difficile de trouver de la nourriture : les fruits sont inaccessibles ; les tubercules représentent un risque pour un non expert comme moi, car beaucoup contiennent des toxines ; mes pièges restent désespérément vides… Mes rations, calculées pour être portées et pour durer 40 jours, sont évidemment minimales. Je les complète avec quelques poissons, même si la pêche dans les marécages est peu fructueuse et demande beaucoup de temps. L’eau, en revanche, est omniprésente et assez pure pour être bue directement. J’ai longuement étudié les risques possibles : les principaux sont les morsures de serpents lorsque l’on se déplace, les blessures de machette, les blessures au yeux (impossible de survivre sans la vue) et, secondairement, l’égarement du matériel. Les attaques de caïmans, de jaguar ou d’anaconda sont des risques bien plus impressionnants mais infiniment moins probables, car ceux-ci n’ont jamais vu l’homme ou le craignent. Comme souvent, on constate que ces principaux risques proviennent surtout d’erreurs humaines (marcher sur un serpent est une faute d’inattention). Par sécurité, je m’interdis tout mouvement la nuit, car la visibilité est trop faible. La nuit, dans mon hamac à plus d’un mètre du sol, l’ouïe est en alerte maximale et chaque son d’habitude anodin devient source de stress.

De rares fois, quand la végétation était moins dense et que je peux avancer sans faire de bruit, j’ai pu apercevoir d’impressionnants tapirs et de petites biches. Ce fut magnifique !

Ma plus grande peur fut lors de la sortie finale de la jungle, quand j’ai fini par rejoindre une poignée d’habitations sur les berges du Rio Negro : loin de tout, il est toujours très stressant de se retrouver face à des humains inconnus, d’autant qu’ils sont armés. Mais ce stress intense ne sera pas justifié : ces humbles habitants me déposeront aimablement dans un village avec une petite embarcation.

La jungle est un lieu envoûtant, sous le charme duquel je suis tombé. L’immense appréhension qu’elle peut provoquer est à l’opposé de la sensation de calme et de plénitude que l’on ressent lorsqu’on y est tranquillement installé, dans un hamac, à admirer la faune et la flore après avoir bien manger et s’être baigné. Ce fut pour moi une merveilleuse expérience, dont je garde un souvenir magique.

La canopée

Dans un prochain article je partagerai une aventure réalisée en 2013 avec mon cher ami Max, qui consista à traverser le Nicaragua à pied et en kayak gonflable.